Interview avec Delphine Issenmann
Jill Decrop Ernst
02 avril, 2024
France, Strasbourg
Delphine Issenmann est chargée de collections au Jardin des sciences (université de Strasbourg) depuis 2004. Elle est aussi la coordinatrice du projet Teaching with Objects.
Quel est votre moment d'enseignement avec des objets le plus mémorable ?
J’étais avec mon collègue Sébastien Soubiran qui est actuellement directeur du Jardin des sciences et qui est historien des sciences. Il m’avait sollicitée pour l’accompagner pour un cours mobilisant des objets de collections de physique. J’étais très surprise parce que j’avais une vision très académique des cours. Je n’avais jamais eu en tant qu’étudiante des cours à partir d’objets et j’avais trouvé cette expérience complètement incroyable parce que ça montrait qu’une autre pédagogie était possible. C’était particulièrement intéressant dans ce cadre-là, parce que c’était à destination d’étudiants de physique, pour qui la question des musées, des objets de collections, du passé, n'était absolument pas quelque chose qui allait de soi. C’était plutôt un défi de solliciter leur intérêt là-dessus. Le simple fait d’être en contact avec des objets de collections chargés d’histoire représentaient pour eux manifestement un défi de compréhension. Ils avaient une autre lecture que la mienne qui était tout aussi intéressante et pertinente. Sébastien menait cette découverte avec eux, en les laissant s’exprimer, en leur laissant le temps d’aller vers les objets, mais en les guidant avec des étapes. J’étais dans cette position confortable d’assistante pour ce premier cours qui m’a vraiment ouvert tout un pan d’activités qui allait être quelque chose dans lequel j’avais envie de me consacrer.
Dans une conversation précédente, vous avez mentionné l'importance de s'adapter et comment vous essayez constamment d'innover votre activité en ce qui concerne les objets que vous utilisez, pour garder les élèves engagés, etc. Quels sont les différents aspects de vos cours que vous essayez d'innover et comment faites-vous cela ?
Il y a un moment clé, le moment de sélection des objets. On se projette dans quelque chose vers quoi on veut amener les étudiants. Ça peut être thématique, ça peut être des questionnements, ça peut être le défi de choisir un objet qui du point de vue morphologique va être très peu parlant, ça peut être quelque chose de très simple, mais à partir duquel on peut trouver plein de choses formidables à dire et c’est ça qui est stimulant.
Si on est face à des groupes hétérogènes qui ont des difficultés à se saisir de cette première frustration où ils n'ont pas tout de suite accès à “qu’est-ce-que l’objet”, “à quoi il sert”, ou qu’ils manquent d’informations sur celui-ci, la situation peut devenir complexe. Il ne faut pas qu’ils se découragent et qu’ils se sentent frustrés. On doit les accompagner dans cette première étape, guider leur regard, et leur façon de découvrir les objets. C’est une question de dialogue permanent, de les observer, analyser leurs réactions pendant les séances pour voir s’ils sont en difficulté, s'ils ont besoin d’un accompagnement plus « individualisé ». Ce qui implique d’avoir des effectifs pas trop importants.
On les fait aussi souvent travailler par groupes. Un des défis par rapport à ça et qui nécessite cette adaptation, c’est de voir aussi comment le groupe va se former autour du travail demandé. Dans le cadre de cours, on demande à nos étudiants de construire un projet d’exposition ou de valorisation de contenu en ligne. Parfois, on a des étudiants qui n’ont pas le même background, qui doivent croiser leurs méthodologies, c’est ça qui est très intéressant. Parfois, ce sont des approches différentes: comment peuvent- elles dialoguer, se compléter plutôt que se confronter? Puis il y a bien sûr les tempéraments des uns et des autres, comment on les amène à apprendre à s’écouter, à travailler ensemble de façon efficace, à s'organiser. Au fur et à mesure des cours et de l’expérience, j’accumule différentes typologies de profils de difficultés, des questions qu’ils peuvent se poser, des outils à leur proposer.
En parlant de l'importance de s'adapter à votre public, vous avez mentionné le défi de capter l’attention et l'intérêt des élèves dans votre cours. Quelles méthodes utilisez-vous pour y arriver?
Il y a deux ans, pendant la période du covid, il fallait qu’on porte des masques pendant les cours. La première séance s'est bien passée. Avant la deuxième séance, ma collègue m’envoie un message en me disant « il y a une des étudiantes qui est malentendante, il va falloir que vous voyiez avec elle comment faire en sorte que ça se passe mieux pour cette personne ». Je ne l’avais pas encore identifiée parce qu’elle était arrivée en retard donc elle n'avait pas pu se présenter à la première séance. Comme j’avais mon masque, elle ne pouvait pas lire sur mes lèvres donc elle n’a quasiment rien pu entendre ni suivre. Je lui ai écrit un mail en disant:
Delphine: “Est-ce que vous pouvez m’indiquer des choses qui peuvent vous aider ?”
Étudiante: “Ce qui serait intéressant, c’est que vous puissiez m’envoyer les cours en avance”
Delphine: “Mais le problème, c’est que c’est un cours à partir de l’observation en direct des objets, ce n'est pas comme un format écrit avec des slides.”
Dans ce genre de situations, comment peut-on faire?
Cela impliquait aussi d’ informer les étudiants de ce groupe qu’ils allaient devoir travailler un peu différemment. Ce que l’on a fait, c’est qu’au fur et à mesure des observations, j’écrivais les mots-clés sur le tableau pour qu’elle puisse les prendre en note et s’en imprégner. Après, j’ai consacré plus de temps à ce groupe-là pour pouvoir travailler avec eux de façon plus spécifique. Les membres du groupe où elle était ont vraiment très géré la situation, ils ont été particulièrement facilitants pour qu’elle puisse prendre contact avec eux et afin de préparer le travail. De plus, elle n’était pas francophone donc il y avait aussi la difficulté de la langue. La faire s’exprimer le plus possible était le meilleur moyen d’avoir une idée précise de son niveau de compréhension. N’ayant rien anticipé, c’était un vrai défi. Mais finalement, cette expérience s’est bien terminée.
Si demain, vous deviez donner une leçon avec un vase grec, que feriez-vous ? À quoi ressemblerait celle-ci ?
Là tout de suite évidemment, je me pose la question, quel est ce vase grec ? En tant que conservatrice, je regarderai d’abord si l’objet est fragile et peut être manipulé. Le but étant évidemment que les étudiants puissent vraiment toucher l’objet. Sinon je pense que ça n'a pas d’intérêt pour eux car l’objet redevient distant. Il me semble important d’avoir au préalable une idée des informations et de la documentation disponible sur cet objet. Il n’est pas rare que les étudiants trouvent des choses auxquelles je n’avais pas eu accès, ce qui permet de compléter nos recherches. Ensuite, je ferais le déroulé du cours exactement comme pour des instruments scientifiques ou autres. Souvent, on choisit des objets de différentes collections. L’année dernière, par exemple, on a travaillé à partir de colliers dogons, d’instruments de médecine, d’ objets de botaniques, de paléontologie, des photographies, et des cartes. L’idée, c’est de montrer qu’on peut aborder tous les objets de la même façon.
If you are interested in reading more about teaching and learning physics or other courses with objects, please refer to section 2. Benefits and challenges of teaching with objects in different fields in the State of the Field
If you are interested in reading more about object selection and lesson preparation please refer to section 3. Lesson preparation in the State of the Field
If you wish to explore how to make lessons more inclusive, please refer to section 4.2 Inclusivity in the State of the Field.